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« 50% de réduction du budget de la santé », « abandon des études supérieures », … un rapport d’Amnesty épingle la gestion de la crise au Tchad

Au Tchad, la population paie le prix fort des mesures d’austérité draconiennes, selon un nouveau rapport d’Amnesty international.

• Le budget de la santé a été réduit de plus de 50 % en quatre ans.
• Des étudiants sont contraints de choisir entre leurs cours et un emploi leur permettant de subvenir à leurs besoins.
• Des personnes qui manifestaient contre l’austérité ont été victimes de répression et arrêtées ; certaines ont été torturées.

Les autorités tchadiennes ont mis en œuvre une série de mesures d’austérité qui accroissent la pauvreté, nuisent à l’accès aux soins médicaux essentiels et mettent l’éducation hors de portée de nombreuses familles, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public lundi 16 juillet 2018.

Ce rapport, intitulé « Budgets en chute, répression en hausse. Le coût humain des mesures d’austérité au Tchad », décrit les conséquences de la réduction drastique des dépenses sur les droits à la santé et à l’éducation. Il relate également la répression menée par les autorités contre les manifestants et les militants opposés aux mesures d’austérité mises en œuvre en réponse à la crise économique qui frappe le pays.

« Nous nous sommes entretenus avec des femmes enceintes qui étaient contraintes de retarder des examens de contrôle prénatals importants car elles n’avaient pas les moyens de payer ces services essentiels. Nous avons aussi rencontré des étudiants dont l’avenir brillant était menacé par la suppression sans préavis de leurs bourses d’études », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

« Les autorités tchadiennes doivent reconnaître que ces mesures d’austérité sont cruelles et qu’une crise économique n’est pas une excuse pour porter atteinte aux droits de la population, notamment aux droits à la santé et à l’éducation. Elles doivent aussi cesser de réprimer et de réduire au silence les personnes qui osent critiquer ces mesures draconiennes ».

Le gouvernement tchadien a commencé à mettre en place des mesures d’austérité sévères en 2015, en réponse à une crise économique provoquée par la chute brutale des cours du pétrole brut et exacerbée par un manque de diversification économique. Les institutions financières internationales qui ont prêté de l’argent au Tchad pendant cette crise ont conditionné leur aide à une réduction des dépenses générales. Cela a conduit le gouvernement à adopter des politiques qui ont affaibli les droits économiques, sociaux et culturels, notamment les droits à l’éducation et à la santé de milliers de Tchadiens.

Amnesty International s’est entretenue avec 176 personnes, dont des représentants du gouvernement, à N’Djamena, la capitale, et dans plusieurs autres villes, telles que Massaguet, Massakori et Sarh. Elle a aussi visité 32 établissements de santé dans huit régions.

Un fonctionnaire local de la délégation sanitaire régionale de Sarh a déclaré à l’organisation que le gouvernement avait réduit des deux tiers les fonds alloués aux différentes structures sanitaires en 2017 : « Les ressources sont rares. […] Il est très difficile de mettre en place des activités sur le terrain ».

Des patients contraints de payer des frais élevés pour se faire soigner

Le budget de la santé au Tchad a été réduit de plus de 50 % entre 2013 et 2017. Les subventions et d’autres financements alloués aux hôpitaux ont diminué.

La réduction des dépenses de santé s’est aussi traduite par une baisse de 70 % des dépenses consacrées au programme national de gratuité des soins d’urgence, qui avait été mis en place en 2006 pour permettre la prise en charge d’un certain nombre d’urgences à l’hôpital, dont les accouchements et les soins obstétriques et néonatals.

Ainsi, Alain, chauffeur âgé de 40 ans, a indiqué avoir dépensé 41 dollars des États-Unis (soit un tiers du salaire minimum mensuel au Tchad, qui s’élève à 113 dollars) pour la naissance de son fils en octobre 2017.

Il a déclaré à Amnesty International :

« Enceinte, ma femme n’a pas bénéficié de la gratuité des soins d’urgence, bien qu’elle y ait droit. J’ai tout payé : les examens, les gants, la protection en plastique pour la table d’accouchement et les médicaments. Il n’y a pas de gratuité. On ne lui a rien donné gratuitement. Nous avons tout acheté sauf les vaccins de notre fils. Avant, ils donnaient tout cela mais maintenant il faut payer ».

Amnesty International s’est aussi entretenue avec 12 femmes enceintes, dont certaines avaient dû parcourir jusqu’à 15 kilomètres à pied pour atteindre un centre de santé. Elles étaient toutes enceintes de cinq à six mois et, à l’exception de l’une d’entre elles, il s’agissait de leur premier examen prénatal. Lorsqu’il leur a été demandé pourquoi elles avaient attendu si longtemps pour faire un examen de contrôle, elles ont répondu qu’elles n’avaient pas les moyens de payer les soins prénatals.

« Nos recherches montrent que, à cause des mesures d’austérité, les composantes de base du droit à la santé ne sont plus protégées. Rien ne saurait justifier le non-respect des obligations minimales essentielles en matière de droit à la santé, même une crise économique », a déclaré Samira Daoud.

Le rapport d’Amnesty International décrit également la pénurie récurrente de médicaments et de produits essentiels, tels que le paracétamol et les désinfectants, dont l’alcool, dans les établissements de santé.

L’éducation est la deuxième grande victime des coupes budgétaires. Entre 2014 et 2016, dans le cadre des mesures d’austérité, les autorités tchadiennes ont réduit de 21 % les dépenses dans ce secteur.

La bourse de 53 dollars par mois dont bénéficiaient tous les étudiants a été totalement supprimée, sauf pour les étudiants en médecine et pour ceux qui sont inscrits dans des écoles nationales professionnelles.

En octobre 2017, les autorités ont également multiplié par deux les frais d’inscription dans les universités publiques, qui s’élèvent maintenant à 94 dollars des États-Unis, et introduit des frais de réinscription d’un montant d’environ 53 dollars. Auparavant, les frais d’inscription étaient subventionnés par l’État.

En conséquence, de nombreux étudiants interrogés par Amnesty International ont exprimé leur crainte de devoir arrêter leurs études car aucune autre solution n’a été mise en place, en particulier pour les étudiants économiquement vulnérables et pour ceux qui viennent de zones rurales.

Pour joindre les deux bouts, certains étudiants ont dû prendre un travail à temps partiel, qui les oblige souvent à manquer les cours.

Mamadou, étudiant à l’université de N’Djamena, a raconté à Amnesty International que, depuis la suppression de sa bourse, il ne pouvait plus acheter de livres, manger à la cantine ou renouveler son inscription à la bibliothèque.

« Cela m’a contraint il y a six mois à commencer à faire le taxi-moto. Je loue la moto 3 000 francs CFA par jour [six dollars des États-Unis]. […] Et très souvent, je dois faire le choix entre mes cours ou le travail qui me permet de subvenir à mes besoins. C’est très difficile car je n’arrive plus à étudier comme je le faisais avant ».

Dernièrement, outre une réduction de 50 % des primes et indemnités des fonctionnaires, le gouvernement a adopté de nouvelles réformes visant à élargir l’assiette fiscale. De nouvelles lignes du salaire des fonctionnaires, épargnées jusqu’en 2018, ont été soumises à l’impôt. Compte tenu de ces réductions, combinées à la hausse des taxes sur les produits de première nécessité et à l’augmentation du coût de la vie, il est devenu difficile pour les employés du secteur public de subvenir aux besoins de leur famille.

Un enseignant a déclaré à Amnesty International que, après l’application des nouvelles mesures fiscales, son salaire net mensuel total, comprenant les primes et indemnités, avait diminué de 37 % et ne s’élevait plus qu’à 385 dollars des États-Unis en 2016.

Entre janvier et mars 2018, des dizaines de manifestations ont eu lieu dans les principales villes du pays, dont la capitale N’Djamena, pour protester contre les mesures d’austérité. Toutes sauf une ont été réprimées par les forces de sécurité, qui ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les manifestants, arrêté au moins 150 personnes (dont des étudiants et des enfants) et torturé au moins deux militants anti-austérité. Les autorités ont accusé les manifestants d’avoir jeté des pierres sur les policiers et détruit des véhicules appartenant à des administrations publiques ou à des particuliers.

Alain Didah Kemba, porte-parole du mouvement de jeunes IYINA, a été arrêté le 19 février 2018 et emmené en garde à vue au siège de la police de N’Djamena. D’après le porte-parole de la police, cet homme a été interpellé car un commandant de police l’aurait vu, une bouteille d’essence à la main, s’apprêtant à mettre le feu à un tas de pneus. Il a démenti ces accusations.

Alain Didah Kemba a déclaré à Amnesty International avoir été torturé par des policiers, y compris par leur supérieur ; ils l’auraient frappé sur la plante des pieds et les articulations. Il affirme aussi avoir été forcé de se déplacer d’une pièce à l’autre avec les jambes attachées à ses mains derrière son dos. Les policiers l’auraient accusé d’être l’un des meneurs des manifestations contre les mesures d’austérité. Il a été remis en liberté provisoire quatre jours plus tard pour raisons de santé et toutes les charges retenues contre lui ont été abandonnées le 26 février.

« Chaque fois qu’il y a eu des mesures d’austérité qui ont été prises, cela a entraîné des manifestations des populations, de la société civile, des étudiants, des élèves, mais aussi des grèves de fonctionnaires. De janvier à mars, nous avons documenté au moins 12 manifestations. Dans tous ces cas-là, il n’y a eu qu’une seule manifestation pendant laquelle les forces de sécurité n’ont pas eu recours à des gaz lacrymogènes pour disperser la foule. Que les gens aient fait ou non usage de la force, les forces de sécurité ont frappé des manifestants. Il y a eu plusieurs blessés et 150 personnes, au moins, ont été arrêtées, dont de nombreux élèves et étudiants. Nous, ce que nous constatons c’est que la répression continue au Tchad. Les mêmes restrictions qui existaient avant continuent et sont encore plus renforcées. Par conséquent, le ton a durci encore plus et la situation est, pour nous, très inquiétante d’autant plus que nous avons eu à faire, auparavant, des recommandations et nous constatons que ces recommandations ne sont pas mises en œuvre« , a déclaré Balkissa Ide Siddo, chercheuse pour Amnesty international au micro de RFI.

Amnesty International appelle le gouvernement tchadien à prendre des mesures immédiates pour évaluer les conséquences des mesures d’austérité sur les droits économiques, sociaux et culturels, notamment les droits à la santé et à l’éducation. Les autorités doivent aussi mettre un terme aux violations généralisées des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

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