La justice aux ordres du régime d’Idriss Déby a condamné jeudi deux rebelles à la prison à vie pour « participation à des mouvements insurrectionnels ».
Les Faits – Inculpés pour « participation à des mouvements insurrectionnels », les Tchadiens Mahamat Hassan Boulmaye et Ahmat Yacoub Adam, ont été condamnés à la prison à vie jeudi au palais de justice de N’Djaména. Les juges ont suivi le réquisitoire du procureur à l’encontre de ces deux responsables du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), un groupe rebelle actif au nord du pays.
La justice tchadienne sait se montrer très expéditive. Au terme d’une seule journée de procès jeudi, Mahamat Hassan Boulmaye, président du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), et Ahmat Yacoub Adam, le porte-parole de ce groupe, ont été condamnés par les juges à la prison à vie.
Inculpés pour « participation à des mouvements insurrectionnels », ces deux rebelles comparaissaient au palais de justice de N’Djaména devant une cour criminelle spéciale. Les deux accusés ont été défendus par des avocats commis d’office. Leur avocat français, Me Bernard Schmid, n’a pas pu faire le déplacement.
« J’ai été prévenu au dernier moment et n’ai pas eu le temps de demander un visa, explique Me Bernard Schmid. N’ayant aucune confiance dans l’indépendance de la justice tchadienne, je m’attendais au pire ». La robe noire française a, en effet, craint une condamnation à mort et une exécution dans la foulée.
Le Tchad a aboli la peine de mort en 2016 à l’exception des condamnations pour actes de terrorisme. Mais, le président Idriss Deby a menacé, le 4 juin, de réinstaurer la cour martiale abrogée en 1993. Ce qui a attisé les craintes des médias et des organisations des droits de l’homme qui se sont mobilisés pour faire pression sur le pouvoir. Paris a aussi été alerté. Hassan Boulmaye jouit du statut de réfugié en France. Ahmat Yacoub Adam s’est vu accorder le même statut par l’Egypte.
Partenaire sécuritaire majeur de la France au Sahel, Idriss Deby est un allié encombrant pour le pays des droits de l’homme. Il fait régulièrement arrêter des opposants et activistes. En 2016, les organisations des droits de l’homme ont aussi déploré la disparation d’une vingtaine de soldats après avoir voté contre leur président à la présidentielle du 9 avril.
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, passe régulièrement et discrètement des messages de retenue auprès du chef de l’Etat tchadien. Il l’a encore rencontré le 21 mai à Amdjarass, le fief familial, alors que le président assistait aux funérailles de son frère cadet, Timane. Le patron du Quai d’Orsay a insisté pour que les législatives, reportées depuis 2015, puissent se tenir en 2019.
La France a sauvé la mise au président tchadien en février 2008 alors que les rebelles étaient aux portes de son palais à N’Djamena. Elle a encore aidé récemment son armée, en matière de renseignement, de conseil et de logistique, pour faire face à la rébellion dans le Tibesti.
« Nous avons créé un mouvement politique et militaire pour l’alternance politique et non pour détruire le pays, a expliqué Hassan Boulmaye aux juges. Nous estimons que la démocratie n’existe pas au Tchad ». Il a encore dit avoir été enlevé au Niger alors qu’il était en transit dans ce pays, sa destination finale étant Tunis où il devait rencontrer des émissaires des Nations unies. Il a assuré avoir été enlevé, le 3 octobre 2017, par les forces de sécurité nigérienne qui l’ont extradé, trois jours plus tard, au Tchad en dépit des assurances que leur aurait donné le ministre de l’Intérieur du Niger, Mohamed Bazoum.
Mahamat Hassan Boulmaye et Ahmat Yacoub Adam étaient accompagnés au Niger d’un troisième compagnon, Abderrahman Issa. Les trois rebelles avaient rejoint le sud de la Libye en 2015 où ils créeront, un an plus tard, leur groupe rebelle. Mais les forces du maréchal Haftar, allié d’Idriss Déby, les as rapidement pris pour cible.
« Dr Abderrahman Issa est décédé à la suite à de mauvais traitements dans la prison de Koro Toro, en plein désert tchadien, où étaient détenus les trois hommes », confie Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne de Défense des Droits de l’Homme (CTDDH).
La décision de la justice tchadienne permet à Déby de garder les leaders du groupe rebelle au chaud. Il n’en a pas pour autant fini avec ce groupe qui a lancé ses premières attaques en août 2018. La situation est actuellement plus calme au Tibesti mais l’armée tchadienne n’a pas reconquis toute la zone, plusieurs villages étant encore aux mains des groupes d’autodéfense locaux. « Le chef de l’Etat cherche actuellement à négocier afin de ne pas relancer une opération militaire risquée », explique un analyste tchadien.
TchadConvergence avec lopinion.fr