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Tchad: « si l’ère n’est plus à la conquête du pouvoir par les armes, elle n’est plus non plus aux pouvoirs à vie » (par Dr Moussa Pascal Sougui)

«Nous condamnons la prise de pouvoir par les armes mais nous condamnons par la même force sa confiscation par les armes» (Ibni Oumar Mahamat Saleh, porté disparu depuis 2008).

Lors de ses vœux pour l’Aïd El-Adha aux membres du Conseil supérieur des affaires islamiques du Tchad, le président Idriss Déby Itno a lancé un appel aux syndicats et aux Tchadiens en rébellion contre son régime en ces termes :

«A ceux qui veulent continuer de s’accrocher à la rhétorique guerrière, je leur dis simplement que cette option est suicidaire et sans issue. Et cette époque de conquête du pouvoir par les armes est à jamais révolue. Les partenaires sociaux doivent prendre la vraie mesure des efforts que le gouvernement continue à consentir pour améliorer le quotidien des travailleurs. Toute attitude de surenchère comme celle que nous observons depuis quelques mois est contre-productive en matière de dialogue social ».

L’évaluation que fait le président Idriss Déby de la crise économique, sociale et politique qui sévit au Tchad manque cruellement de gravité.

Comment peut-on encore parler de dialogue social au Tchad lorsque :
– Le gouvernement ne respecte pas l’accord du 14 mars 2018 signé avec les syndicats ?
– Face à une grève sèche et illimitée des fonctionnaires qui dure depuis 8 mois, le gouvernement a adopté la stratégie de laisser pourrir la situation ?
– Au moindre mécontentement légitime des citoyens le régime montre le bout du canon, et toute manifestation syndicale, même les sit-in devant les entreprises sont systématiquement interdits par le ministère de la Sécurité publique et violemment réprimés par les forces de l’ordre ?

Comment construire une paix sociale durable au Tchad lorsque :
– Sur une population de 14,5 millions d’habitants, près de 300 000 enfants entre 0 et 5 ans souffriront de malnutrition sévère aiguë en 2018 ?
– Des centaines de milliers de jeunes diplômés attendent sans espoir à la porte de la fonction publique squattée par des faux-diplômés proches du régime ?
– Suite aux 16 mesures d’austérité, le gouvernement viole même ses obligations en droit international comme l’accès aux soins et à l’éducation dénoncées par Amnesty International ?
– Les fonctionnaires paient très cher la mauvaise gouvernance, les détournements massifs, la gabegie, l’incompétence, le népotisme familial, les fraudes, le brigandage électoral et les interventions militaires en Afrique ?
– L’accès à internet et aux réseaux sociaux est coupé depuis mars 2018 en violation des droits de l’Homme selon l’ONU ?
– L’administration publique est à l’arrêt et la justice aux ordres du pouvoir est totalement impuissante face une impunité galopante ?

Comment peut-on encore espérer une stabilité politique au Tchad lorsque :
– Après 28 ans de règne sans partage, le président Déby renforce son pouvoir en instaurant un régime dictatorial « intégral » afin de perpétuer sa mainmise sur notre pays ?
– Après 5 mandats présidentiels, Idriss Déby se taille un royaume sur mesure en lançant une nouvelle constitution qui musèle l’opposition et la société civile et qui verrouille tous les leviers du pouvoir ?
– Une nouvelle constitution qui met en conflit les Tchadiens avec leur foi religieuse et leurs valeurs humaines ?

Le Président Idriss Déby doit comprendre que l’effet du sédatif, un cocktail de clientélisme, de corruption et de terreur, qu’il administre aux Tchadiens depuis 28 ans, s’est totalement estompé. En appelant les rebelles à ne plus recourir aux armes, M.Déby devrait aussi avoir la sagesse de comprendre enfin qu’il a échoué sur tous les plans et que les Tchadiens n’attendent plus rien de lui sinon son départ du pouvoir. Son projet de vouloir se fossiliser au pouvoir est « suicidaire et sans issue » car l’ère n’est plus non plus aux règnes à vie.

Dr Moussa Pascal Sougui
Enseignant à Orléans (France)

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