C’est une information RFI, le torchon brûle entre le pouvoir de transition et la Commission de l’UA depuis la nomination du Sénégalais Ibrahima Fall au poste de Haut représentant de l’Union africaine pour accompagner la transition. Une nomination dont le Conseil militaire de transition, installé le 20 avril, ne veut pas entendre parler. Cette crise qui couvait depuis sa nomination en juin vient d’éclater au grand jour avec l’annonce d’une visite à Ndjamena rejetée par les autorités de transition.
Ibrahima Fall faisait le pied de grue à Addis-Abeba depuis plusieurs jours. Ses propositions de dates pour une visite de prise de contact avaient été courtoisement écartées par N’Djamena qui avait prétexté à chaque fois un calendrier chargé. Jusqu’à il y a une dizaine de jours lorsqu’on lui a opposé un « non ferme et définitif » alors qu’il avait programmé son arrivée pour vendredi dernier, le 25 juin.
Motif invoqué : « Le Tchad ne supporte pas les méthodes cavalières de la présidence de l’Union africaine », a justifié un haut responsable de ce pays, qui explique que le gouvernement n’a jamais reçu une notification en ce sens de la part de l’organisation africaine. « Nous avons immédiatement demandé à notre ambassade à Addis-Abeba de lui dire qu’il n’était pas le bienvenu », précise notre source. Une information confirmée à l’Union africaine.
Mais le malaise semble plus profond, car N’Djamena remet en cause très clairement sa nomination. « On n’est pas contre la personne de Ibrahima Fall, mais on n’accepte pas la méthode utilisée pour le désigner », nuance le haut responsable tchadien, en fustigeant « les méthodes contraires aux usages diplomatiques de la Commission de l’Union africaine lors de sa désignation. »
Principaux reproches selon lui, elle n’a pas consulté le Conseil militaire de transition et encore moins son président, Mahamat Idriss Deby, lorsque le choix a été porté sur le Sénégalais Ibrahima Fall et elle n’a pas pris « la peine de nous notifier officiellement de cette nomination ». « Nous l’avons appris en consultant Facebook, s’est-il étranglé, avant de trancher : le Tchad n’est pas sous tutelle de l’UA. »
L’UA rejette les accusations
Les accusations de non-respect des usages diplomatiques dans la nomination de Ibrahima Fall sont « totalement fausses », selon une source autorisée de l’Union africaine. « Deux courriers officiels ont été envoyés à l’ambassade tchadienne à Addis-Abeba et au ministère des Affaires étrangères à N’Djamena pour leur annoncer sa nomination », explique notre source.
La question a été également évoquée lors de conversations téléphoniques entre le président de la Commission, Moussa Faki, et le président du CMT, Mahamat Idriss Déby, ainsi que lors de sa rencontre avec le Premier ministre tchadien à Brazzaville.
L’Union africaine rappelle que lorsque le Conseil militaire de transition prend le pouvoir au Tchad à la suite du décès de Idriss Déby Itno le 19 avril dernier, ce pays a bénéficié d’un traitement spécial, – il n’a pas été sanctionné -, à cause de la brutalité qui a entouré la mort de Déby, des structures ethniques du pays et de son rôle politique et militaire dans le Sahel.
Elle a nommé en échange un Haut représentant chargé de s’assurer que la Charte de transition allait être révisée, en y incluant notamment le principe de la non-éligibilité des membres de la junte militaire ainsi que le respect d’une transition de 18 mois.
Notre source rappelle que si un représentant résident est soumis à l’accord du pays hôte, ça n’est pas le cas pour un envoyé spécial, « le Tchad prend un énorme risque en engageant le bras-de-fer avec l’Union africaine », prévient-elle.
Le Tchad persiste et signe
Mais le Tchad n’en démord pas, officiellement cette fois avec le ministre des Affaires étrangères qui s’est exprimé sur RFI jeudi soir, Cherif Mahamat Zene estime consulter les Etats dans de tels cas est une « question de courtoisie ».
« On a bien reçu une note verbale annonçant l’arrivée de Ibrahima Fall vendredi dernier à N’Djamena », a expliqué jeudi soir à RFI le chef de la diplomatie tchadienne, Cherif Mahamat Zene, « mais on n’a pas été consulté, ni notifié officiellement de sa nomination », a-t-il insisté.
Quant à la conversation téléphonique entre le président de la Commission de l’UA et celui du Conseil militaire de transition, invoqué par une source à l’Union africaine, « elle a eu lieu après notre refus de recevoir Ibrahima Fall », assure un haut responsable tchadien.
Mahamat Idriss Deby aurait alors demandé à Moussa Faki pourquoi il ne l’avait pas consulté sur la nomination du Haut représentant de l’Union africaine, il lui aurait répondu que ce sont « mes prérogatives », un mot confirmé par le ministre tchadien des Affaires étrangères qui l’a qualifiée de « maladroit ».
« Inadmissible » pour le Tchad, selon plusieurs personnalités, qui dénoncent une « violation des usages diplomatiques », mais aussi « une tentative d’humiliation qu’on n’accepte pas, surtout d’un président de Commission qui nous connaît bien puisqu’il est Tchadien lui aussi ».
L’heure est cependant toujours au dialogue du côté de l‘UA, qui envoie son commissaire paix et sécurité à N’Djamena dès mercredi et l’ambassadeur nigérian à Addis-Abeba, à la tête du Conseil paix et sécurité de l’Union africaine pour juillet, est également attendu à N’Djamena ce vendredi 2 juillet.
Il a pour objectif de tenter de ramener le pouvoir tchadien à de meilleurs sentiments. Pas sûr qu’il y arrive selon notre source, d’autant que cette crise serait exacerbée par « les relations tendues » entre le clan Déby et le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat. Certains membres de l’entourage du président Mahamat Idriss Deby verraient en Moussa Faki un rival potentiel pour les prochaines élections. Cette source a donc tenté de les rassurer en assurant que « Moussa Faki n’a aucune ambition au Tchad ».
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