A Sebha, les combattants des communautés Toubous et Ouled Slimane s’affrontent depuis plusieurs semaines. L’arrivée de renforts venus du Nord fait craindre une escalade des combats. Le Sud libyen au bord de l’embrasement.
A Sebha, les plaies ouvertes après la révolution de 2011 n’ont jamais cicatrisées. Depuis un mois, dans la plus grande ville du Sud libyen, les affrontements meurtriers ont repris entre les miliciens Toubous (ethnie nomade à cheval entre le Tchad, la Libye et le Niger) et ceux de la tribu arabe des Ouled Slimane. Il y a sept ans, des membres des deux communautés avaient pris les armes pour aider au renversement du régime de Mouammar Kadhafi. Mais elles se retrouvent aujourd’hui soutenues par des camps rivaux : alors que les Ouled Slimane se sont rapprochés du gouvernement d’union nationale, dirigé par el-Serraj et installé à Tripoli, les Toubous ont prêté main-forte à Khalifa Haftar, l’incontrôlable maréchal qui a pris le contrôle de l’Est de la Libye et refuse de reconnaître l’autorité de Serraj.
Dans le détail, cependant, ce schéma ne résiste pas à la complexité et la fluidité des alliances locales. Des personnalités Ouled Slimane influentes ont intégré l’autoproclamée «armée nationale libyenne» de Haftar, tandis que certains chefs militaires toubous ont pris langue avec Tripoli. Surtout, aucun des deux leaders concurrents n’exerce réellement son autorité sur la «capitale» du Fezzan (la région du Sud). De l’avis général, la reprise des hostilités à Sebha est davantage liée à des facteurs locaux qu’au bras de fer national auquel se livrent Haftar et Serraj. « Ni les Toubous ni la Sixième Force, l’unité militaire d’Ouled Slimane, ne sont vraiment intéressés par Haftar ou Sarraj. Ils s’intéressent à qui va les payer « , a déclaré un analyste.
De plus, il y a la question de l’indemnisation. Après la guerre Toubous-Ouled Slimane en 2015, dans les efforts de médiation qui ont abouti à un accord en mars 2017, il a été décidé que les deux parties seraient indemnisées par l’État libyen. Mais la majeure partie de l’argent n’a pas été payée, ce qui est une source de friction entre les deux parties.
Envoi de renforts
Des rancœurs tenaces — les Ouled Slimane dénient aux Toubous leur «libyanité», ils les définissent comme des «Noirs» et des «Tchadiens» — et des vendettas tribales déchirent les deux communautés depuis 2012. Mais c’est surtout la compétition pour l’accès aux ressources économiques qui aiguise cette opposition. Sebha est la porte du Sahara. Les flux en provenance (ou à destination) de l’Afrique subsaharienne passent inévitablement par cette ville de 130 000 habitants. «Il y a énormément d’argent en jeu. Le contrôle des terminaux pétroliers, le trafic de denrées, d’essence, et surtout de migrants, est très lucratif, explique un bon connaisseur de la Libye. Pendant longtemps, la Troisième Force [bras armé de la ville de Misrata, ndlr] a fait régner l’ordre. Depuis son retrait, en mai 2017, c’est le chaos. Il y a quelques semaines, Haftar a tenté d’y prendre pied, bousculant les équilibres et menaçant la répartition des ressources».
Il y a aussi le checkpoint à 17 km au sud de Sebha, tenu par des combattants Toubous. Les Toubous disent que tout au sud de celui-ci, est le territoire des Toubous et que le point de contrôle est nécessaire pour contrôler l’entrée mais c’est aussi une source de revenus. Les camions de marchandises et de nombreux autres véhicules qui transitent doivent payer de 50 à 100 dinars (37 à 75 dollars) – parfois plus – aux gardiens. Les forces Toubous contrôlent également l’aéroport de Sebha, qui est fermé mais que la municipalité locale et la plupart des habitants de Sebha veulent rouvrir. La municipalité locale veut le départ des Toubous mais ceux-ci n’ont aucune intention de quitter. Ils affirment qu’ils doivent rester à l’aéroport pour protéger le district voisin de Tayuri.
Le maréchal aurait cherché à intégrer la sixième Force (installé à Sebha et composé majoritairement d’Ouled Slimane) dans son armée nationale libyenne. Il y a quelques semaines, il a désigné un nouveau commandant à sa tête, mais celui-ci a refusé cette nomination, proclamant sa loyauté au gouvernement d’union nationale. L’homme fort de l’Est libyen a alors «envoyé des renforts dans la région», en particulier «des avions de combat et des hélicoptères à l’aéroport de Tamanhint», à une trentaine de kilomètres au nord de Sebha, décrit le spécialiste des questions militaires libyennes Thomas Feneux dans un article détaillé. «Des bataillons ont été déployés, en particulier des unités salafistes et des forces spéciales», précise l’expert.
Tirs à l’arme lourde
En réaction, le gouvernement d’union nationale a annoncé la formation d’une nouvelle force militaire pour sécuriser le Fezzan. Des mouvements de troupes se dirigeant vers Sebha ont été signalés. Plusieurs groupes armés, aux allégeances variables, sont présents autour de la ville. Des organisations rebelles tchadiennes et soudanaises ont également trouvé refuge (ou matière à financement) dans la région. Dans un communiqué publié jeudi, Haftar a lancé un ultimatum à «tous les Africains des pays voisins» en exigeant leur départ avant ce samedi.
Un accord de paix, prévoyant des dédommagements et un processus de réconciliation communautaire, avait été signé à Rome l’an dernier entre les Toubous et les Ouled Slimane. Jamais véritablement appliqué, il a fini par craquer au mois de février. Une dizaine de personnes ont été tuées depuis à Sebha. Des négociations sont en cours, mais les cessez-le-feu sont systématiquement violés. Des tirs à l’arme lourde résonnent en ville, selon les messages des habitants postés sur les réseaux sociaux, qui décrivent des victimes civiles. Les affrontements sont pour l’instant sporadiques mais ils risquent de tourner à la bataille rangée si les acteurs du Nord libyen utilisent la vieille querelle entre Toubous et Ouled Slimane pour régler leurs comptes.
Le conflit ne va pas disparaître. Les divisions sont profondes. D’autres tribus arabes de la région sont restées sur la touche mais les Ouled Slimane allaient établir des alliances avec d’autres tribus de la région – le Magarha, le Hassauna et peut-être même le Qaddafa, qui avait soutenu les Toubous, ayant un ennemi commun, les Ouled Slimane.
Dans cette situation incendiaire, la rivalité entre Tripoli et Benghazi transforme un drame local en une crise nationale.
TchadConvergence avec liberation.fr