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Le Député Salibou Garba décortique l’ordonnance portant charte des partis politiques au Tchad

« NE PERPÉTRONS PAS DES DESTRUCTIONS IRRÉPARABLES AU TCHAD »

INTERVIEW À L’AGENCE TCHADIENNE DE PRESSE ET D’ÉDITION

Réalisée par Riamian Doumtoloum Ghislain et Djimet Biani

Info : Dans l’ordonnance n°20/PR/2018 du 7 juin 2018, il est mentionné que désormais les activités des partis politiques seront encadrées. Pourriez-vous nous décortiquer cette ordonnance ? Titre I, et les articles 1,2, 3 évoquent les restrictions et sanctions à infliger aux partis politiques qui ne sont pas en règle. De quels types de sanctions s’agit-il ?

Salibou GARBA : Cette ordonnance a été prise pour répondre à un vœu  exprimé lors du Forum « ni national, ni inclusif ». Certains orateurs avaient en effet demandé de réduire de façon drastique le nombre de partis politiques, pour passer de plus de deux cent à trois ou quatre. Cela avait déjà suscité de vives et bruyantes réactions. Le Président du Présidium a dû rassurer les Chefs de parti présents pour ramener le calme, leur disant que lui-même étant chef de parti, il ne laisserait pas passer une telle suggestion. N’ayant pu le faire au forum, le pouvoir est revenu à la charge par cette ordonnance, à l’abri de débats contradictoires.

Que l’on dise que le nombre de partis politiques est pléthorique et ne traduit pas en réalité la diversité d’opinions, de programmes ou de projets de société, c’est une évidence. Le pouvoir, en favorisant la création et en accordant des autorisations de fonctionner à des groupes de soutien ou à des groupes dans le but de déstabiliser tel ou tel parti considéré comme gênant, est entièrement responsable de cette situation.

La création et le fonctionnement des partis politiques ont toujours été encadrés. Dès 1991, l’ordonnance 11/PR/1991 a été prise à cet effet. J’ai fait partie de la commission qui l’a élaborée. Les premiers partis politiques, créés à partir de cette date jusqu’à la prise d’une nouvelle loi inspirée par la Conférence Nationale Souveraine, ont dû se soumettre aux prescriptions de cette ordonnance, à l’exception du MPS. Le problème, c’est que très peu de partis ont été soumis sérieusement aux vérifications et enquêtes prévues. Des satisfécits ont été accordés, pour les besoins de la cause, à des personnes à la moralité manifestement douteuse.

Vous faites bien de rappeler que dès le Titre I et les premiers articles de cette ordonnance, on parle de restrictions et de sanctions. Le but est donc clairement affiché : il ne s’agit pas d’encadrer, mais bel et bien d’empêcher l’existence des partis politiques, de restreindre les voix dissonantes et gênantes, voire de les éteindre.

De fait, les sanctions sont énumérées tout le long de l’ordonnance, pratiquement à chaque titre ; ce sont d’innombrables motifs de suspension ouvrant la voie à la dissolution ; par exemple la non participation à deux élections nationales (définition large) successives ; et puis, l’ordonnance se termine par une menace de dissolution d’office pour tout parti qui ne s’y conforme pas avant le 7 décembre prochain. Ce qui veut dire que tous les partis politiques, sans exception, doivent tenir leur congrès avant l’échéance fatidique afin d’adapter leurs Statuts et Règlement Intérieur aux nouvelles prescriptions. Ce qui, à l’évidence, est une véritable gageure.

L’article 6 de cette même ordonnance relève que les partis politiques ne peuvent pas avoir leur siège national en province. Pour quelles raisons ?

L’article 6 parle des démembrements provinciaux dont la constitution obéit aux mêmes exigences que celles requises pour l’agrément du parti au niveau national :

liste des membres, disposition d’un local permanent fonctionnel distinct d’un domicile,… liste des membres du Bureau local avec déclaration des biens de ceux-ci pour postuler au bénéfice de la subvention de l’Etat, sinon le parti écope d’une amende, sans préjudice d’autres sanctions du type suspension ou dissolution. Quant aux raisons de ces prescriptions, leurs concepteurs seraient plus indiqués pour répondre.

Dans cette ordonnance, l’on constate qu’il y a plus de sanctions que d’avantages pour les formations politiques. Quel commentaire faites-vous ?

C’est clair, la Présidence intégrale rime avec culte du guide éclairé, rime avec monopartisme. Le défunt Président de l’ex Zaïre (actuel RD Congo), Mobutu Sese Seko le résume bien : « Mboka moko, tata moko, mokonzi moko, parti moko » ; c’est-à-dire un seul pays, un seul père, un seul chef, un seul parti. Au-delà de la monarchisation du régime, c’est de l’instauration de la dictature qu’il s’agit ; le pouvoir ne s’accommode plus des apparences de la démocratie, des apparences des équilibres et partages des pouvoirs servis pendant près de trois décennies.

Avec la crise économique et financière qui frappe le pays, l’ordonnance 20 exige aux partis politiques de respecter la fréquence des congrès ordinaires. N’est-ce pas là une manière pure et simple de faire disparaître les partis qui n’ont pas les moyens ?

S’il s’agissait seulement des congrès nationaux,… Lisez bien, il est exigé que les Statuts et Règlement Intérieur précisent les fréquences des assises des démembrements (provinciaux et peut-être départementaux) ; et les partis politiques sont tenus de respecter ces fréquences,… faute de quoi des sanctions sont exhibées. Chaque parti devrait avoir organes provinciaux dans au minimum seize provinces (16 et non 12 pour atteindre le quota des 2/3 des provinces), et organiser donc seize assises provinciales. On sait ce que coûte chacune de ces assises. En faire une forte exigence, c’est tout simplement contraindre la plupart des partis à mettre la clé sous le paillasson. Ne subsisteront que les partis bénéficiant des soutiens multiformes, directs ou souterrains du pouvoir, dans le but d’abuser la communauté internationale.

Dans cette nouvelle ordonnance, où est la place de l’opposition démocratique ?

Les questions spécifiques à l’opposition sont traitées dans l’ordonnance n°40/PR/2018 du 30 août 2018 qui n’améliore en rien la loi n°20/PR/2009  ; cette nouvelle ordonnance prise, elle aussi, à l’insu du CNDP, est pour le moins rachitique, alors qu’elle devrait procéder de l’enrichissement de la loi n°20/PR/2009, comme a voulu le faire le Comité de Suivi et d’Appui de l’Accord politique du 13 août 2007. Ce projet n’a pas abouti en raison des manœuvres du pouvoir, entre autres les achats de conscience de certains membres de l’opposition.

Pour le député que vous êtes, est-ce que cette ordonnance ne peut pas être amendée par l’Assemblée nationale ?

Vous soulevez là un problème important, le rôle de contrepouvoir de l’Assemblée nationale. Ce pouvoir a disparu, malheureusement avec l’assentiment de la majorité parlementaire. Non seulement le Gouvernement n’est pas responsable devant le Parlement, les auteurs de la Constitution de la IVème République ont pris le soin de mentionner à l’article 231 que le Président de la République peut légiférer par ordonnance pour tout sujet ayant été débattu lors du forum « ni national, ni inclusif », c’est-à-dire sur pratiquement tout ce qui concerne la vie du pays.

Du reste, pensez-vous que cette Assemblée-là peut, au terme de débats libres et contradictoires, rectifier des orientations venues d’en haut ? Vous avez vu comment ces députés ont voté comme un seul homme et à main levée la nouvelle Constitution. La réalité est que les députés de la majorité n’ont pas le pouvoir de modifier une seule virgule d’un texte voulu par le seul maître à bord. Espérer un possible amendement à l’Assemblée, c’est peine perdue, c’est du « wajarass ».

Et quel appel lancez-vous à l’endroit de la classe politique dont vous faites partie et surtout du gouvernement afin de retrouver un consensus autour de cette ordonnance à polémique ?

Notre pays est au bord du précipice. L’heure n’est plus à bomber le torse, à fanfaronner. La sinistrose gagne chaque foyer et chaque tchadien. L’Etat, frappé de dysfonctionnements à tous les étages, n’existe que dans les apparences ; le pays est par terre. Il faut éviter qu’il ne descende sous terre, il faut sauver ce qui peut encore l’être.

Aux militants et responsables des partis politiques et des associations de la société civile, nous disons qu’il est dépassé ce temps où certains jouaient aux rivalités mesquines, à « tirer son épingle du jeu », ou à damer le pion aux autres. Nous devons dire clairement aux tenants du pouvoir que nous n’acceptons plus d’accompagner leurs initiatives tortueuses qui ne sont que du vernis ayant pour finalité d’enliser davantage le pays.

A ceux qui détiennent le pouvoir, au Président de la République plus particulièrement, nous disons que l’heure est grave. La politique spectacle, l’esprit va-t-en-guerre, l’hypothèque et le bradage des richesses nationales ne nous sortiront pas de cette passe périlleuse. Prendre la mesure de l’extrême gravité de la situation, c’est mettre sous le boisseau la IVème République et les « résolutions » du forum qui constituent en fait des bombes à fragmentations, tant est-il que chacune de ces « résolutions », dans sa mise en œuvre, constitue une bombe : découpage administratif, ordonnance sur les associations, charte des partis, ordonnance sur les médias, …) ; sans oublier cette catastrophique idée d’instaurer le serment religieux. Il faut aller sans tergiverser à l’organisation d’un véritable dialogue national inclusif. Les termes de référence existent, les schémas sont là, certains entre les mains du Chef de l’Etat. Dans cette grande et salvatrice messe des acteurs majeurs, les mouvements politico-militaires ne devraient pas être omis. Les évènements qui se déroulent dans l’extrême nord depuis le 11 août, jour anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, nous interpellent. L’histoire nous enseigne que les bombes et autres chars et mitraillettes, n’ont jamais eu raison des revendications politiques et sociales : les exemples foisonnent : l’Algérie, les colonies portugaises d’Afrique, le Viêt-Nam, l’apartheid en Afrique australe, etc. Cela devrait nous édifier et nous éviter de perpétrer des destructions irréparables à notre pays et à notre peuple tellement meurtris.

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