Ce vendredi, le chef du Conseil militaire de transition (CMT) du Tchad, Mahamat Déby, a nommé par décret les 93 députés d’un parlement de transition dans lequel ne figure aucun représentant de l’opposition.
Cela fait cinq mois que le président tchadien Idriss Déby Itno a été assassiné. Depuis la prise du pouvoir par son fils, Mahamat Déby, la junte militaire, qui s’est transformée en Conseil militaire de transition (CMT), a suscité beaucoup de critiques et soulevé de nombreuses questions quant aux conditions et à la durée de la transition. Pour éviter un regain de tension vis-à-vis de la communauté internationale, Mahamat Déby a nommé un Premier ministre civil, qui n’est autre que l’ancien chef du gouvernement sous son père, Albert Pahimi Padacké.
Une désignation pour le moins symbolique. Car, dans les faits, Albert Pahimi Padacké, qui devait conduire la transition et rassurer les partenaires internationaux, est en effet aux abonnés absents. C’est bien le chef du CMT, Mahamat Déby, qui a représenté le Tchad à l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Et depuis hier, le jeune militaire fait sa troisième visite d’Etat au Congo-Brazzaville, où il rencontre le président Denis Sassou N’Guesso. Déby avait auparavant rendu visite à Nana Akufo-Addo en juin et à Emmanuel Macron en juillet.
Si Albert Pahimi Padacké est absent à l’international, il est également éloigné des affaires internes du pays par un Mahamat Déby omniprésent. Ce dernier est à la tête des opérations militaires visant à sécuriser les frontières contre les rebelles du FACT dans le nord et à éviter les débordements des rebelles centrafricains des 3R et du groupe terroriste Boko Haram dans le sud.
Et alors qu’un calme, plutôt précaire, règne au Tchad, le chef de la junte tchadienne vient tout juste de nommer un parlement de transition, le Conseil national de transition (CNT), surprenant ainsi tous les observateurs. Un échec pour le président togolais Faure Gnassingbé et son ministre des Affaires étrangères Robert Dussey, qui discutaient d’unité nationale avec le CMT. En écartant l’opposition civile du Parlement — il a nommé 93 députés proches du pouvoir —, le Général Mahamat Idriss Déby montre qu’il est le seul maître à bord.
Ni opposants civils ni rebelles
Si le CMT définit la composition du parlement comme « inclusive », l’opposition ne partage pas ce constat. Le pouvoir tchadien assure que les 93 députés nommés sont issus de « douze composantes » et parmi lesquelles la chefferie locale, les représentants religieux ou encore la société civile. La junte militaire déploie d’ailleurs des statistiques pour prouver sa bonne foi : le parlement compte un tiers de députés de l’ancien parlement, un autre tiers de jeunes et un tiers de femmes.
Mais force est de constater que la principale force d’opposition, Wakit Tama, n’a obtenu aucun siège. En effet, la totalité des députés sont membres ou réputés proches du Mouvement patriotique du salut, le parti d’Idriss Déby. Un parlement qui ne compte donc aucun opposant à Mahamat Déby. Quant aux groupes rebelles, qui espéraient être inclus dans l’établissement du cadre juridique de la transition, ne sont pas représentés.
Lors des futures sessions parlementaires, il ne faudra donc s’attendre à aucun débat houleux : Mahamat Déby s’est acheté une tranquillité en nommant les parlementaires par décret. Pour le politologue Ahmat Mahamat Hassan, la nomination du CNT en catimini représente une véritable « déception » dans un processus de transition de plus en plus incertain. « Le fait que l’exécutif désigne par décret le législatif, c’est aller à l’envers », estime-t-il.
Vers un monologue de Mahamat Idriss Déby
Aujourd’hui, le mouvement d’opposition Wakit Tama ne cache pas son mécontentement. Bénéficiant d’un large soutien populaire, Wakit Tama a organisé de grandes manifestations contre le coup d’Etat de Mahamat Déby. Le mouvement, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, avait exprimé sa méfiance vis-à-vis de l’influence française sur le CMT. De quoi donner lieu à une vague de répression policière et militaire contre Wakit Tama. Le mouvement est notamment composé de plusieurs partis d’opposition et défend également les droits des groupes rebelles. Le porte-parole de Wakit Tama, Ray’s Kim, estime que « si le CNT réunit des gens qui sont déjà acquis à leur cause pour s’asseoir et parler, ils y sont allés juste pour monologuer ».
L’absence de représentants des groupes armés, qui respectent le cessez-le-feu exigé par N’Djaména, soulève également la question de l’ingérence togolaise. Faure Gnassingbé et Robert Dussey ont déjà échoué dans leur tentative de médiation au Mali. Le Tchad ne semble pas déroger à la règle. Mahamat Déby prend de plus en plus d’initiatives en dépit de ses promesses de donner de véritables prérogatives au gouvernement Padacké.
Reste désormais à savoir comment réagira l’opposition au moment des premières mesures entreprises par le CNT. Ce dernier doit définir la loi électorale, un projet de nouvelle constitution ou encore définir le budget de l’Etat. Et pour ces différents choix, l’opposition n’aura pas son mot à dire.
Avec lejournaldelafrique.com