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Quand Idriss Déby décide de faire taire la jeunesse de son pays: un an de censure des réseaux sociaux au Tchad

Les Tchadiens auront passé ce jeudi 52 semaines sans accès aux réseaux sociaux. Depuis le 28 mars 2018, l’accès à Facebook, WhatsApp, Viber et Twitter, est en effet restreint sur le territoire tchadien.

Cette suspension est intervenue au lendemain du Forum national inclusif, qui a abouti à une modification constitutionnelle. 

Selon le rapport 2018 de Data Reportal, seulement 5% de la population tchadienne utilise l’Internet et 2%, les réseaux sociaux ; ces chiffres ont considérablement chuté depuis la restriction : désormais, seuls 2% des Tchadiens utilisent l’Internet et 0.8% se connectent aux réseaux sociaux, à en croire le rapport 2019.

De plus, à en croire l’ONG Internet Sans Frontières  (ISF), une situation similaire avait coûté, en 2016, 18 millions d’euros (environ 13 milliards de Francs CFA) à l’État tchadien.

Cette « censure » a obligé les internautes à trouver des astuces pour se connecter. Les Tchadiens passent ainsi désormais par les réseaux privés virtuels (Virtual Private Network, VPN) pour communiquer sur Facebook, Twitter et autres.

Mais cela impacte directement les bourses, puisque l’utilisation des VPN consomme plus de données et donc, revient plus cher.
Jusqu’en octobre 2018 au Tchad, 1 Gb de données coûtait 20 dollars (environ 12.000 F CFA), alors que le revenu mensuel moyen par habitant est de 60 dollars, (environ 34.931 F CFA.)

« Avant la censure d’Internet, j’utilisais le réseau MTN du Cameroun. J’avais 30 Gb à 10.000 F CFA. Ensuite, ils ont installé les brouilleurs alors j’ai basculé sur les réseaux tchadiens et je déboursais 24.000 F CFA par mois pour internet et la censure n’a pas beaucoup aidé », explique Rolland Albani, promoteur culturel.

Plan B

Plusieurs actions ont été menées dès lors pour la levée de cette mesure. D’abord, un collectif d’avocats mené par Me Fréderic Nanadjigué, a déposé une plainte contre les deux principaux opérateurs de téléphonie du pays, Airtel et Tigo.

Les plaignants dénoncent une violation du droit des consommateurs et une atteinte injustifiée à la liberté d’expression.

Le 28 août 2018, le procès s’est ouvert au Tribunal de grande instance de N’Djaména. La première audience a permis aux parties de présenter leurs éléments de preuve au juge, avant d’être renvoyée au 18 septembre.

Puis, le juge Yenan Timothée a convoqué l’Autorité de régulation des communications électroniques et postes (Arcep) à la barre, les avocats d’Airtel et Tigo ayant rejeté la responsabilité de la suspension sur les autorités tchadiennes.

Selon eux, c’est l’État, à travers l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes ] qui leur aurait donné l’ordre de restreindre l’accès à l’Internet.

Le 4 octobre 2018, le verdict est tombé : vice de procédure. « Le juge a dit qu’on a qualité à ester, mais on n’a pas raison », explique Me Fréderic Nanadjigué à SciDev.Net.

Coïncidence ou pas, le lendemain de ce verdict, le 5 octobre, l’entreprise de téléphonie mobile Airtel, a réduit le prix de l’accès à l’Internet. Désormais, avec 1 500 F CFA, les Tchadiens ont accès à 1 GB de données pour se connecter et peuvent acheter 7 GB de transfert de données à 12.000 F CFA. Puis la société Tigo en a fait de même. Un petit soulagement pour les internautes…

Internet sans frontières

Parallèlement, l’ONG Internet Sans Frontières agit aussi à travers plusieurs recours. L’organisme promeut la libre circulation des informations et des connaissances, la défense de la liberté d’expression et la lutte contre toutes les formes de censure sur les réseaux connectés. Elle était très peu connue des Tchadiens avant 17 avril 2018, date de la création d’un bureau au Tchad. L’ONG est sortie de l’ombre depuis la désignation à sa tête d’Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, un jeune activiste tchadien.

Son plan d’action est simple : la distribution de réseaux VPN, la saisine du conseil constitutionnel par les membres d’ISF Tchad et la campagne #Maala Gatétou, qui s’est déroulée le 19 janvier 2019 sur les réseaux sociaux.

« La campagne #Maala_Gatétou est la suite logique de plusieurs initiatives qui ont été prises par les internautes tchadiens et par la représentation d’Internet sans frontières au Tchad pour combattre la censure des réseaux sociaux dans le pays, la cherté de l’accès à l’internet au Tchad, la qualité médiocre de l’accès à l’Internet et des services des fournisseurs d’accès à l’Internet qui ne font pas l’effort pour déployer les infrastructures nécessaires pour offrir aux internautes tchadiens, un accès à une bande passante conforme aux normes internationales », confie le représentant d’ISF Afrique centrale.

L’acte 2 de la mobilisation #Maala_Gatétou, qui consiste à mettre les citoyens en action se prépare déjà, selon Abdelkerim Yakoub Koundougoumi, responsable Afrique Centrale d’ISF. « Cela s’appelle tintamarre téléphonique. On va demander aux Tchadiens d’envoyer des mails à toutes les boîtes mail des différents ministères, à des députés, etc. On est dans une optique de guérilla citoyenne », renchérit-il. En attendant, les Tchadiens continuent de se connecter grâce à leur plan B, les VPN, et de se mobiliser…

Une grande conférence-débat est ainsi prévue aujourd’hui au Centre d’études et de formation pour le Développement de N’Djamena, à l’initiative d’ISF Tchad et des organisations de la société civile, sur le thème « Un an de censure des réseaux sociaux au Tchad : Quelle solution pour sortir de l’impasse ? »

Par Victoria Remadji


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