Trois mois après sa condamnation à trois ans de prison, le directeur de publication de Salam Info croupit dans une cellule de fortune, dort à même le sol et doit payer pour bénéficier de toilettes propres. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des conditions de détention indignes et demande sa remise en liberté.
Quelques tiges de dattier, du plastique, des tôles amoncelées, et un espace insalubre qui fait à la fois office de douche et de toilettes, la cellule de fortune intégrée par le journaliste tchadien Martin Inoua Doulguet et construite par les deux autres prisonniers qui l’occupent avec lui ne fait pas plus de cinq mètres carrés. “Il faut payer 3000 francs CFA (NDLR environ 4,5 euros) toutes les deux semaines pour avoir accès à des toilettes et une douche plus propres”, raconte à RSF le directeur de publication du trimensuel Salam Info.
Arrêté le 16 août dernier, il a été condamné à trois ans de prison pour “diffamation”, “dénonciations calomnieuses” et “association de malfaiteurs informatiques” le 23 septembre à la suite d’une plainte déposée par une ancienne ministre de la santé accusée d’agression sexuelle par sa nièce. Depuis, le journaliste dort sur un tapis à même le sol et doit se contenter de visites qui ne durent que quelques minutes, “debout dans un couloir”. Des conditions de détention “exécrables” selon son avocat maître Olivier Gouara qui déplore également que son client n’ait pas accès à l’infirmier de la maison d’arrêt pour pouvoir se soigner correctement.
Joint par RSF, un avocat français ayant récemment rendu visite au journaliste confirme qu’à la privation de liberté et à l’insalubrité s’ajoute l’insécurité. « Il existe un endroit appelé le ‘bateau », une sorte de mitard extrêmement glauque dans lequel le journaliste a été malmené par les prisonniers qui s’y entassent après avoir été préalablement bastonné”. Le 23 septembre, photos à l’appui, le journaliste avait fait parvenir le récit de son agression par des responsables de la sécurité de la prison qui lui avaient dit avoir agi “sur instructions”.
“En plus d’être privé de sa liberté pour ce qu’il a écrit, ce journaliste se trouve dans des conditions de détention abominables. Insalubrité, agression, tout est fait pour l’humilier, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous demandons aux autorités de mettre fin à ces mauvais traitements et à cet acharnement en remettant ce journaliste en liberté provisoire en attendant la suite de la procédure”.
L’avocat du journaliste a confié à RSF avoir enfin reçu le jugement en première instance afin d’interjeter appel.
Un journal qui dérange
Révélant des scandales de corruption et dénonçant la mauvaise gouvernance Salam Info et son directeur de publication ont régulièrement été la cible de menaces, d’agressions et de sanctions. Deux jours à peine après le lancement du trimensuel en février 2018, son responsable avait passé cinq jours en détention pour le simple fait d’avoir publié son journal dans la capitale alors que l’autorisation lui avait été accordée dans une ville du sud du Tchad.
Quelques semaines plus tard, Martin Inoua Doulguet était de nouveau placé en garde à vue pendant deux jours à la suite d’une plainte en diffamation de la Croix-Rouge après la publication d’un article dénonçant des malversations financières au sein de l’organisation. Ses responsables ne se sont pas déplacés lors de l’ouverture du procès. Aucune suite judiciaire n’a été donnée. Même scénario lorsqu’un ancien ministre des Mines, Gomdigué Baïdi Lomey, ayant fait l’objet de révélations sur la passation douteuse d’un marché, a porté plainte contre le journal. Les convocations à la police judiciaire se sont succédées et une confrontation a eu lieu devant le substitut du procureur. Le ministre mis en cause ne s’est finalement pas présenté lors de la première audience le 10 décembre 2018.
Plus grave, dans la soirée du 19 juillet 2019, des inconnus ont tenté de mettre le feu à la maison du journaliste. Quelques mois plus tôt, en novembre 2018, son véhicule avait déjà été incendié. Entre ces deux actes criminels, les pressions se sont intensifiées. L’ordinateur de Martin Inoua Doulguet a été volé et sa publication a été suspendue pour trois mois pour « manquements à la déontologie » dans une affaire l’opposant à son ancien responsable, le patron du journal Abba Garde.
Cette série d’attaques avait été précédée de menaces faisant suite à des articles visant directement des proches du régime et notamment un chargé de mission à la présidence de la République et le secrétaire général de la présidence Kalzeubé Pahimi Deubet. Le premier a été limogé peu de temps après la parution de l’article le mettant en cause pour sa gestion de la réfection de la Poste, le second a été arrêté au début de ce mois de décembre pour des faits de corruption…
Le Tchad occupe la 122e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.