Depuis la manifestation pacifique organisée par Wakit Tama, la situation politico-sécuritaire devient subitement très fébrile au Tchad.
Samedi 14 mai 2022, à l’appel de la coalition Wakit Tama de marcher pacifiquement contre la politique française au Tchad, des milliers de personnes ont répondu présents. N’Djaména et Abéché sont les deux principales villes qui ont ravi la vedette de la mobilisation. Malheureusement, les marches se sont soldées par des débordements ayant conduit à des actes de vandalisme contre les intérêts français. Certains responsables présumés auteurs de ces actes sont interpellés à N’Djaména : Gounou Vaiïma Ganfaré, Me Koudé Mbainaissem, Hissein Massar et Youssouf Korom.
Un dispositif sécuritaire intimidant
Lundi, 16 mai 2022. La ville de N’Djaména est quadrillée par les forces de l’ordre et de sécurité. Policiers du Groupement Mobile d’Intervention (GMIP), gendarmes et éléments de la Garde Nationale et Nomade du Tchad (GNNT), mais aussi et surtout, les militaires lourdement armés, prennent position dans les endroits névralgiques de la capitale : ronds points, espaces vides servant généralement de points de départ de certaines manifestations, etc… Ce dispositif exceptionnel a fait comprendre à la population que quelque chose de grave couve. Mais personne n’est en mesure de dire la raison. Mais tout porte à croire que ce dispositif sécuritaire est mis en place pour prévenir des éventuelles manifestations contre la politique française, susurre-t-on.
Mardi 17 mai 2022, au début de la matinée, la nouvelle de l’arrestation du porte-parole de la coalition Wakit-Tamma, Me Max Loalngar, envahit la toile. Au Palais rose, ayant réuni son conseil de sécurité, le président du Conseil Militaire de Transition, le Général Mahamat Idriss Déby, après avoir énuméré les « avancées » dans le processus démocratique pour aboutir au Dialogue National Inclusif, condamne de la plus intransigeante des manières les manifestations et tout leur corollaire d’actes de vandalisme. « Le gouvernement est fermement instruit à l’effet de d’appliquer la loi dans toute sa rigueur… Je voudrais également appeler les magistrats et plus largement tous les acteurs de l’appareil judiciaire, à jouer pleinement et entièrement leur rôle face aux dérives de ceux qui piétinent les lois, sèment les troubles et attisent les conflits intercommunautaires. Force est à la loi et à elle seule», martèle-t-il.
Jeudi 19 mai 2022, le ministre de la Sécurité publique signe un arrêté pour « interdire les marches ou manifestations prévues pour la journée du 20 mai sur toute l’étendue du territoire national » sans qu’aucune organisation n’en fasse une demande.
Au même moment, le Barreau convoque illico presto une assemblée générale. Celle-ci étudie les circonstances dans lesquelles les arrestations de ses membres se sont opérées, et fait le tour de la situation des droits de l’homme dans le pays. La décision tombe : les avocats tchadiens bouderont tous les procès jusqu’à la libération de leurs confrères dont ils estiment avoir été victimes « d’enlèvements » sans aucun respect de la procédure requise. Mais aussi, ils protestent contre les multiples atteintes aux droits de l’homme à travers tout le pays depuis la transition au Tchad. Se référant aux textes de lois, les avocats réclament, eux aussi, la seule application de la loi.
Comme on le voit, ces sorties du pouvoir et du Barreau augurent d’une lutte acharnée à venir. Mais surtout, elles font craindre le retour à une époque récente du règne du Maréchal où les armes, pour un rien, parlent dans la rue à la place des citoyens. Et font planer de sérieux doutes sur la tenue sereine des assises du dialogue national inclusif !
Avec Nestor H. Malo